Il y a quarante ans : un petit pas pour l'homme...

Publié le par Dimitri Chuard

Le 21 juillet 1969 pour les Européens et les peuples vivant plus à l'est, le 20 juillet pour les Américains, deux hommes foulaient le sol lunaire. C'était il y a quarante ans...

Neil Armstrong et Buzz Aldrin n'ont pas dormi depuis longtemps. Ils sont en train de finir de s'équiper à l'intérieur du petit module lunaire Eagle. Quelques heures auparavant, le LM s'était posé dans un nuage de poussière quelque part dans la Mer de la Tranquillité, cette zone bien lisse que l'on repère facilement à l'œil nu en regardant la Lune.

Vue de près, la région est plus accidentée qu'il n'y paraît depuis la Terre. Aux commandes du LM à l'alunissage, Armstrong a évité de justesse un cratère empli de cailloux. Il a dû prolonger la descente en se posant un peu plus loin. L'engin était déjà un peu plus haut que prévu et les spécialistes du centre de contrôle de Houston ont mis plus un quart d'heure pour déterminer le point de posé exact.

« C'est très beau et sans couleur, décrit Aldrin. C'est gris et gris très clair vers le Soleil, et c'est d'un gris considérablement plus foncé quand vous regardez à 90° du Soleil. Quelques-uns des rocs qui ont été cassés ou bousculés par le réacteur sont enveloppés de cette lumière gris clair à l'extérieur. Mais quand ils ont été cassés, on voit un intérieur sombre, très sombre, et cela ressemble à du basalte. »

Juste après l'alunissage, Armstrong et Aldrin ont commencé par préparer le LM pour le décollage. L'engin doit être prêt. Le départ peut être précipité. Il n' y a pas d'urgence, l'équipage a quatre heures d'avance sur l'horaire prévu. Il ne se sont pas reposés...

Il faudra ensuite trois heures et demie aux hommes pour s'équiper complètement. Entre le PLSS (Portable Life Support System), qui contient ce que l'on appelle le support vie (oxygène, climatiseur...) et les énormes bottes venant recouvrir les chaussures du scaphandre (et à qui on doit sans doute la mode des Moon Boots), l'équipement est complexe et encombrant. Au fil des missions ultérieures, il se perfectionnera et, en particulier, s'assouplira. La première version, inaugurée par la mission Apollo 11, ne permet guère de plier les genoux.

Le LM (Lunar Module) ne possède pas de sas. Pour sortir, les deux astronautes ouvrent une vanne qui évacue dans le vide l'atmosphère intérieure. Il a été décidé que c'est Armstrong qui descendrait en premier, parce que, dit-on, il est un civil, alors qu'Aldrin est militaire, et que, symboliquement, ce voyage est une mission de paix. C'est donc le pilote d'essai (tout de même ancien pilote militaire durant la guerre de Corée) qui descend à reculons l'échelle du LM. Fixée à l'extérieur, une caméra doit le filmer en noir et blanc. Armstrong tire une manette pour déclencher la prise de vue.

Parmi tous les créateurs de récits de science-fiction racontant la découverte d'autres mondes, aucun n'avait osé imaginer cette situation : un homme seul descend une échelle et, grâce à la caméra, à la liaison radio les transmettant vers la Terre et aux réseaux de télévision, des centaines de millions de spectateurs le regardent.

Partout sur la planète, quelle que soit l'heure locale, des femmes, des hommes et des enfants sont les témoins médusés de la lente descente de cette silhouette humaine tremblotante (à cause des images, pas à cause de Neil Armstrong, l'homme qui ne perd jamais son calme). Les images ne sont pas nettes. Elles sont aussi extraordinairement contrastées.

Les ombres sont obscures et les zones illuminées sont éclatantes de blancheur. Ce n'est pas un défaut de la caméra. La Lune n'a pas d'atmosphère pour diffuser la lumière solaire. Les zones à l'ombre ne peuvent donc recevoir que celle réfléchie dans la bonne direction par les objets proches. Hors des endroits éclairés, c'est la nuit noire. Sur la Lune, un rayon de Soleil à travers un volet n'éclaire pas une pièce. Cette caractéristique gênera beaucoup les astronautes.

Personne ne sait vraiment ce qu'Armstrong va rencontrer au bas de l'échelle. De la poussière, sûrement. Mais de quelle dureté ? Certains craignent qu'il ne s'enfonce profondément. Risque-t-il de perdre l'équilibre ? Les simulations n'ont pas permis de recréer parfaitement la marche d'un être humain qui pèse six fois moins mais conserve sa masse.

Armstrong saute les 90 derniers centimètres, sans barreau, et atterrit sur le pied du LM, en forme de large coupelle. Armstrong décrit tout ce qu'il fait et tout ce qu'il voit. « Les pieds du LM se sont enfoncés de seulement un ou deux pouces » explique-t-il. Le sol est donc relativement ferme. Il remarque ce que tous les marcheurs lunaires constateront après lui et ce qui est aujourd'hui le cauchemar des ingénieurs qui préparent le retour vers la Lune. « La surface paraît faite de grains très, très fins, quand on s'en approche, on dirait de la poudre. »

Six cents millions de Terriens attendent la suite. On suit ses mouvements centimètre par centimètre. Armstrong allonge la jambe gauche (oui, la gauche, retiendra l'Histoire) et tâte le sol du pied. La Moon Boot ne semble pas s'enfoncer. « Je vais maintenant faire un pas hors du LM ». Sur Terre, un séisme n'aurait pas dérangé les téléspectateurs.

« It's one small step for (a) man but a giant leap for mankind ». Voilà. C'est fait. C'est dit. Il est 3 h 56 à Paris. Mais personne ne regarde l'heure. L'Homme a marché sur la Lune. ON a marché sur la Lune. Tout le monde a marché sur la Lune à cet instant précis. Dans sa phrase destinée à être gravée dans le marbre, Armstrong a un peu escamoté le a. C'est donc un petit pas pour un homme mais un bond de géant pour l'humanité. Et c'est ainsi que le ressentent les humains d'alors.

Plus tard, Michael Collins racontera (il le rapporte dans le superbe documentaire Dans l'ombre de la Lune) combien il a été frappé, par la suite, par le sentiment collectif ressenti par tous les gens qu'il a rencontrés. « Partout, en Europe, en Asie, en Afrique, ils ne disaient pas "les Américains ont marché sur la Lune", ou "les Etats-Unis sont allés sur la Lune", ils disaient "on a réussi". Ce ON était formidable, c'était un sentiment d'unité très beau, éphémère peut-être mais très beau. » Merci à Hergé, au passage, pour avoir, lui aussi et si longtemps avant, titré ainsi son second opus de la saga lunaire de Tintin et de ses amis.

Armstrong n'a toujours pas lâché l'échelle du LM. Il trace un sillon dans le sol, comme un enfant sur le sable d'une plage. Il finit par lâcher l'échelle et fait quelques pas. « La surface est fine et poudreuse. Je peux la faire voler avec la pointe de mon pied. Elle adhère en couches fines, comme de la poussière de charbon. Je ne m'enfonce que d'une fraction de pouce, peut-être un huitième de pouce [un astronaute d'un autre pays aurait pu dire environ trois millimètres], mais je peux voir les empreintes de mes bottes ».

Il marche. « Il semble qu'il n'y ait aucune difficulté à se déplacer. C'est même peut-être plus facile que pendant les simulations. » Il se retourne, regarde son ami Buzz par la fenêtre du LM et se baisse pour ramasser immédiatement quelques pierres et les range dans une poche (sur la jambe gauche, précise l'Histoire). Si un retour d'urgence s'imposait, la mission ramènerait au moins cela.

Armstrong est seul sur le sol pendant dix-neuf minutes. Il s'éloigne du LM mais très peu. Aldrin le rejoint. Armstrong le filme en train de descendre l'échelle. Durant toute la sortie de cette EVA (Extra-Vehicular Activity, sortie extra-véhiculaire), c'est Armstrong qui dispose d'une caméra. C'est pourquoi toutes les images montrent Aldrin. Armstrong doit aussi s'occuper de celle qui, fixée sur le LM, continue de transmettre des images. Il la fait tourner pour offrir un panorama mais, comme tant de cinéastes amateurs, il bouge trop vite et Houston doit lui demander de recommencer.

Les deux hommes, ensemble, effectuent un premier travail, symbolique. Ils dévoilent une plaque, apposée sur l'un des pieds du LM (donc sur le premier étage qui restera sur la Lune), expliquant que des hommes, ici, un jour de juillet 1969 AD (Anno Domini), sont venus en paix. Ils planteront ensuite un drapeau américain, maintenu par des tubes et enfoncé à la va-vite (c'est le seul travail qu'ils n'avaient pas répété).

Armstrong et Aldrin apprennent alors... à marcher. Rien n'est comme sur Terre. Le poids est plus faible. On se sent léger et on peut sauter facilement. Mais gare, la masse est toujours là et avec elle l'inertie. Si l'on court, on s'arrête moins facilement qu'on ne le pense. Quant à la lumière, elle est trompeuse. Près de la direction du Soleil, c'est l'éblouissement. Caméras et appareils photo, réglés pour une lumière violente, en effacent les étoiles. A l'ombre, c'est quasiment l'obscurité. En l'absence de repères connus, des arbres par exempe, dans la grisaille générale et avec un horizon plus proche, les distances et les pentes sont difficiles à évaluer.

Aldrin a une mission particulière : tester la mobilité du scaphandre. Alors il s'essaie à différents mouvements et tente le saut à pieds joints. D'autres astronautes s'amuseront à cela aussi mais la méthode ne semble pas la bonne. Aldrin adopte une marche un peu chaloupée et rapide. Par la suite, les marcheurs lunaires disposant de scaphandres plus souples retrouveront les sensations d'Aldrin et adopteront facilement la course plutôt que la marche.

Ils doivent s'interrompre... à cause d'un coup de téléphone. Ce n'est autre que Richard Nixon, président des Etats-Unis, expliquant qu'il leur parle du Bureau ovale, à la Maison Blanche. « C'est certainement le coup de fil le plus historique qu'on y ait jamais passé » affirme-t-il.

Le travail est loin d'être fini. Les deux hommes doivent installer deux instruments scientifiques, remisés dans les coffres du LM. Un sismomètre transmettra à la Terre les tremblements éventuels du sol lunaire. Un réflecteur permettra de renvoyer une partie d'un faisceau laser envoyé depuis la Terre. Il est orienté à 5° près vers notre planète et composé d'une centaine de petits miroirs en « coin de cube », en quartz, qui ont la propriété de renvoyer une lumière incidente dans la direction d'où elle vient, après trois réflexions, sur chacune des faces. De tels miroirs, déposés également par d'autres missions Apollo mais aussi par des missions soviétiques, permettront dans les années et les décennies suivantes de mesurer, par télémétrie, la distance entre la Terre et la Lune avec une précision centimétrique.

Armstrong laisse Aldrin seul et s'éloigne (de soixante mètres !) en direction du « Petit cratère de l'ouest » (Little West Crater), survolé juste avant l'alunissage. Le terme ouest indique qu'il se situe dans la partie ouest de la zone prévue pour l'alunissage. Il prend quelques photographies et revient vers Aldrin.

Il reste encore à récolter des cailloux... Les deux hommes en ramassent 21,7 kg et retournent vers le LM. Ils abandonnent du matériel sur la Lune, pour alléger au maximum leur engin.

La sortie extravéhiculaire aura duré 2 h 31 et les deux premiers marcheurs lunaires auront parcouru 250 mètres...

Armstrong et Aldrin se débarrassent de leurs combinaisons et constatent que cette damnée poussière, « qui sent la poudre à canon », dira Aldrin, colle à tout. Les études ultérieures et les explorations lunaires suivantes montreront pourquoi. Constituée de minuscules scories hérissées de pointes, elle s'accroche à n'importe quoi. Elle est puissamment corrosive mais aussi allergène. Pour couronner le tout, elle flotte au-dessus de la surface lunaire à cause de forces électrostatiques.

Armstrong et Aldrin, pour la première fois depuis longtemps... se reposent. Le premier grimpe sur un capot moteur, l'autre se recroqueville par terre et Houston les laisse tranquilles.

Au réveil commencent les préparatifs du décollage. Aldrin se met à bricoler. En enfilant sa combinaison, il a cassé le poussoir d'un disjoncteur, servant à la mise à feu du moteur de remontée. Sans lui, pas de décollage. Il choisit un stylo, en retire le capuchon et constate que le diamètre correspond bien à celui du poussoir. Aujourd'hui encore, il affirme avoir toujours ce stylo sur lui...

21 heures et 36 minutes après l'alunissage, le moteur du second étage de Eagle soulève le vaisseau en un décollage parfait et le propulse vers l'espace où l'attend le module de commande Columbia, en orbite à 110 kilomètres, laissant sur le sol le premier étage du LM. Il faut deux tours de Lune au module lunaire pour rejoindre le vaisseau mère. Collins s'occupe du rendez-vous et accroche Eagle. Il élève la pression d'air dans Columbia de sorte que, à l'ouverture du sas entre les deux engins, l'air du module lunaire, chargé de poussière et d'on ne sait quoi, ne puisse pénétrer dans le module de commande.

Michael Collins retrouve ses deux compagnons. Le second étage de Eagle est alors décroché. Son orbite l'amènera à s'écraser sur la Lune. Le moteur de Columbia est allumé. Le vaisseau quitte l'orbite lunaire et s'inscrit sur une trajectoire de retour vers la Terre.

Principale mission assignée aux trois hommes pour les jours à venir : se reposer.


Source : Futura Sciences

Publié dans [Événement]

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G
Un très grand moment que hélas je n'ai pas pu vivre en direct.... j'étais beaucoup trop jeune.....JM
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